PMA : peut-on se passer d’un père ? »

La France a franchi un pas en sortant de sa vision restrictive concernant l’accès à la PMA.

La famille demeure toujours une institution fondamentale de notre société, et les changements qu’elle a connus ne l’ont nullement désinstitutionnalisée… au contraire, celle-ci se retrouve de plus en plus renforcée dès lors que s’y comptabilisent de nouvelles composantes.

Notre droit connait depuis quelques années un bouleversement dans la conception de la famille, de la bioéthique et cela en s’adaptant aux réalités sociales. En effet, les changements sont liés pour une grande partie à l’évolution du statut de la femme et à la place de la manifestation de la volonté dans le projet parental.

Afin de pouvoir faire avancer ce droit, quoi de mieux que de recourir à une notion dite « traditionnelle », telle que la notion de « projet parental ».

Le « projet parental » a permis cette évolution dans le passé et revient, de nos jours, au secours de la liberté de disposer de son corps, notamment dans les débats sur la révision des lois de bioéthique.

La bioéthique permet d’encadrer les interventions sur la personne et à ce titre, les passions, les convictions s’invitent de nouveau dans des débats juridiques et bioéthiques. Entre ceux qui souhaitent adapter le droit aux nouvelles réalités sociales tels que les couples de même sexe et ceux qui souhaitent un retour à « l’ordre naturel », le droit doit se prononcer.

Le droit de la famille ne peut se limiter à l’équation procréation = parentalité.  Notre droit doit refléter l’importance croissante du désir et de la volonté dans la conception d’un enfant et l’évolution des techniques médicales au service de la procréation et les résistances qui s’expriment.

Le Conseil d’Etat encore très récemment, par son arrêt du 28 septembre 2018 avait rappelé les conditions pour avoir accès à la PMA et bien évidemment parlait de « l’homme et la femme formant le couple » et affirmait ne pas y avoir une rupture dans le principe d’égalité et cela bien qu’il existe une inégalité de traitement entre les couples en fonction de leurs orientation sexuelle. Le Conseil d’Etat s’est seulement limité à l’esprit de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique actuel, réservant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples composés d’un homme et d’une femme.

Les limites fixées par notre droit commencent à céder au profit de la volonté d’adéquation à la réalité sociale et à une conception universelle de la filiation, c’est-à-dire une volonté de protection uniforme pour tous les enfants. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que la Cour de cassation par son arrêt du 24 février 2006, a autorisé la délégation de l’exercice de l’autorité parentale à une femme avec laquelle la mère vit une union stable et continue, sans que toutefois cela ne règle la question de la filiation dans les couples de même sexe.

Par la réforme initiée par la loi de mai 2013, qui ouvrait le mariage aux couples de même sexe, et la possibilité d’adoption pour un couple du même sexe, notre droit rappelait implicitement que la filiation n’est pas limitée à la procréation, c’est d’ailleurs, ce qu’a explicitement affirmé le conseil constitutionnel. Cette réforme est inachevée, soit parce que l’adoption de l’enfant de la conjointe ne semble pas être la meilleure solution, soit dès lors que le maintien de l’interdiction pour les couples de femmes d’accéder à la PMA semble entretenir une grande ambiguïté quant à la légitimité des couples de même sexe à être parents d’un même enfant.

C’est ainsi que le texte relatif à la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes a été adopté en première lecture par les députés le vendredi 27 septembre 2019, avant l’adoption du projet de loi de bioéthique lui-même, également en première lecture, le 15 octobre dernier. Ce texte prévoit donc d’étendre aux femmes célibataires et aux couples de femmes l’accès à la PMA, jusqu’ici réservée aux couples hétérosexuels dans l’incapacité d’avoir un enfant.

Les opposants à cette réforme invoquent « la contre nature ». Or, quand il y a un tiers donneur, il n’y a pas de soin de l’infertilité, mais cela constitue une sorte de « PMA sociale », et cette adaptation de notre droit peut donc être dans ces conditions étendue à des  couples de femmes, ou à des femmes seules qui désirent un enfant… alors qu’il est reconnu que nombreuses sont celles qui vont à l’étranger pour procéder à des PMA, allant jusqu’à les nommer de « mères voyageuses ».

L’opposition est plus virulente à l’égard des femmes seules, dès lors que les préjugés liés à cette configuration familiale demeurent forts. On associe la monoparentalité à la précarité, l’abus, l’insécurité…

En effet, l’enfant issu de la monoparentalité était par le passé souvent catalogué, comme un « bâtard », issu d’une relation hors mariage qu’on nommait « illicite » « enfant naturel » et de nos jours comme une volonté de supprimer le masculin.

Ce tabou lié à la famille monoparentale s’illustre fortement dans le débat relatif à la loi bioéthique, de nos jours on accepte ce type de configuration si c’est issu d’un veuvage, d’un divorce ou d’une séparation, mais pas si c’est un projet individuel.

Nénamoins, l’enquête de Dominique Mehl sur les « mamans solos », publiée en 2016, relève que ce sont des projets murement réfléchis et qu’il existe bien évidemment une sécurité matérielle, mais surtout aucune volonté de s’opposer aux hommes. Elle a relevé que ces femmes ont un respect pour les hommes, car par une PMA, elles n’imposent aucunement un enfant à qui que ce soit.

Par cette réforme, il y aune volonté de sortir de l’équation procréation=parentalité, et de traiter de manière égale les couples par le biais du projet parental, peu importe l’orientation sexuelle.

En effet, le désir d’enfant prend forme dès lors que le couple souhaite se consolider, ou même transmettre, prolonger le nom, la lignée, lutter contre le vieillissement, se conformer aux exigences socio-culturelles, éthiques… Encore au 21ème siècle c’est l’enfant qui fait famille. Pourtant, les mentalités ont évolué à partir des années 70 avec le slogan « un enfant, si je veux, quand je veux », qui est l’expression de l’idée de projet parental et de non-soumission à l’état de nature.

Le désir d’enfant est toujours suspecté même pour les couples hétérosexuels infertiles dès lors qu’il n’y a un formalisme lourd (enquêtes…) c’est uniquement ce même processus qui est demandé pour les couples de femmes ou pour une femme seule… aucun passe-droit n’est réclamé, mais uniquement l’égalité de traitement de leur projet parental…

Le concept de « projet parental » est tiré d’un droit fondamental : le droit à la vie privée et familiale, et c’est la raison pour laquelle, face à des mentalités qui sont encore profondément hostiles au « droit à disposer de son corps », c’est ce droit qui est de nouveau brandi dans le projet de loi sur la bioéthique.  Cette hostilité peut avoir diverses raisons, soit pour des motifs liés à la place des femmes, pour certains, soit en raison des risques liés à d’autres revendications telle que la GPA, pour d’autres.

L’ironie du sort se traduit par l’usage, par les partisans d’un retour à « l’ordre naturel », de notions telles que le « corps », la « chair », le « désir », et ceci afin de s’opposer à la parentalité de couples du même sexe ou par des femmes seules ; qui selon eux ne crée qu’une « parentalité artificielle », notamment dès lors qu’il n’y a pas de père. En effet, « artificiel », ne signifie pas que ces partisans de « l’ordre naturel » soient contre les PMA, au contraire si cela peut aider un couple hétérosexuel à avoir des enfants, cela est toléré.

Ce qui est sous-entendu par le terme « artificiel », c’est essentiellement la question qu’un enfant ne peut être élevé sans un père. C’est donc la place de l’homme et notamment du père qui selon ces opposants à la « PMA pour toutes » qui est effacée, selon ces derniers, un tel dispositif permettra le « clonage reproductif », une « PMA sans père ».

La France a franchi un pas en sortant de sa vision restrictive concernant l’accès à la PMA et de l’importance donnée de nos jours à la notion de « projet parental »  en dehors de la prise en compte des convictions personnelles.

Notre société en général et la famille en particulier ne peut être conçue avec l’idée de rupture, dès lors qu’il y a des évolutions progressives, c’est la raison pour laquelle que l’on ne peut invoquer « la contre nature ».

La PMA  n’est pas contre-nature, dès lors qu’elle est dans la continuité du désir de se prolonger, du désir d’enfant et non du droit à l’enfant.

L’arrivée du projet de loi au Sénat est désormais pour le mois de janvier… on attend des nouvelles vers le printemps…période de floraison…de l’esprit et des textes. On peut donc conclure que la famille n’est pas un long fleuve tranquille et qu’elle est en constante évolution.

Khadija Azougach

Docteur en droit, avocate au Barreau de Paris et anthropologue, personne ressource dans les associations comme le Planning familial, et secrétaire de l’association L4W, association de juristes pour lutter contre les violences faites aux femmes.

 

 

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