Le devoir de conseil : Un devoir non absolu face à l’équilibre contractuel et à un manque de loyauté

 

AVOCAT – DEVOIR DE CONSEIL – ÉTENDUE – OBLIGATION D’INFORMATION – PRINCIPES ESSENTIELS – ÉQUILIBRE CONTRACTUEL – LOYAUTÉ DU CLIENT – RESPONSABILITÉ CIVILE PROFESSIONNELLE – RESPECT

 

Cass. 1ère civ., 31 oct. 2012, n° 11-15529 : M. X c/ Me Y – P+B – Rejet pourvoi c/ CA Paris, 1er févr. 2011 – M. Bargue, prés. SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Piwnica et Molinié, av.

 

L’avocat, comme tout autre professionnel juridique, peut voir sa responsabilité professionnelle recherchée à l’occasion de manquements commis dans l’exercice de ses fonctions. Or, la Cour de cassation et tout particulièrement la 1ère chambre civile, en considérant qu’il s’agit d’une responsabilité relevant du droit commun, a maintenu le même procédé à savoir, la démonstration d’une faute, et d’un préjudice en relation de causalité avec celle-ci[1].En effet, depuis une trentaine d’années, la Cour de cassation a posé l’essentiel des principes régissant la responsabilité de la profession d’avocat.

Par l’arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation a tenu à redonner un cadre à l’obligation de conseil de l’avocat, non rédacteur d’acte. Tout d’abord, l’avocat n’est pas tenu d’inciter son client à remettre en cause l’équilibre contractuel auquel sont parvenues les parties concernant la rédaction d’une clause de garantie de passif, à laquelle il n’a pas participé, s’il ne dispose d’aucune information de nature à l’alerter sur une éventuelle mise en œuvre de cette clause et sur le risque d’insolvabilité des intéressés. Par ailleurs, il n’est pas obligé de vérifier les informations données par son client si aucun élément n’est de nature à les mettre en doute. Il n’est pas non plus tenu d’informer son client sur les conséquences d’une fausse déclaration dès lors que l’obligation de loyauté s’impose en matière contractuelle et que nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé à une partie ce principe de bonne foi.

 

Dans ce cas d’espèce, trois frères, propriétaires chacun pour un tiers de la société X, ont signé le 6 mai 1993, avec la compagnie générale d’entreprise automobile (CGEA), devenue par la suite Onyx puis Veolia propreté, un protocole d’accord pour la vente de leurs droits dans ces sociétés, sous la condition suspensive de la vente concomitante à la même société par Monsieur Jacques X (l’un des trois frères) des titres qu’il détenait, vente devant se faire le même jour par acte séparé.

 

Ce protocole d’accord n’a pas été rédigé par leur avocat Maître Y, ce dernier était mandaté afin d’en poursuivre l’exécution. Il a été prévu que le prix de cession serait payé en trois fois. Toutefois, le 30 juin 1993, la société CGEA a sollicité une réfaction du prix de 20 %, au motif qu’il ne lui a pas été révélé qu’une décharge n’était pas en conformité avec les prescriptions règlementaires.

 

Par conséquent, un contentieux a été porté devant le tribunal de commerce de Paris. Le tribunal de commerce avait enjoint aux parties, de lui proposer une liste de trois experts.

Or, selon Monsieur Jacques X, son avocat Maître Y a failli à son obligation de diligence, car il n’aurait pas respecté cela, et aurait interjeté appel sans proposer de nom, alors que la CGEA aurait proposé de son coté des noms. En outre, les consorts X ont reproché non seulement à leur avocat Maître Y de ne pas avoir récusé un des experts, l’expert D, qui connaissait les lieux, mais aussi de ne pas avoir sollicité une contre-expertise.

 

Monsieur Jacques X invoque également la violation du devoir de conseil et d’information de son avocat, au motif qu’il n’a pas vérifié toutes les informations fournies par le client. Il s’agit, en l’occurrence, de ne pas les avoir informés des risques liés à la mise en œuvre de la clause de garantie. Il est également reproché à Maître Y, d’avoir été en situation de conflit d’intérêts au motif que le cabinet pour lequel il travaillait, était également le conseil de la CGEA et de ses filiales, pour d’autres affaires, concomitamment à la procédure pour laquelle il avait été saisi par les consorts X.

 

Par conséquent, une action en responsabilité civile professionnelle a été intentée par Monsieur Jacques X contre son avocat Maître Y et la société Covea Risks, son assureur. Le tribunal de grande instance de Paris (n° 08/00285) du 12 septembre 2009, puis la cour d’appel de Paris par un arrêt du 1er février 2011 (n° 09/21974), ont tous les deux rejeté les demandes des consorts X.

C’est dans ces circonstances, qu’un pourvoi a été formé contre l’arrêt de la cour d’appel, et que la Cour de cassation, le 31 octobre 2012, vient de rejeter ce pourvoi.

 

Nous aurions pu penser que la haute juridiction allait en cette fin d’année être prise avec le contentieux lié au contreseing de l’avocat, nouvelle compétence d’attribution issue de la loi du 28 mars 2011[2], permettant d’engager sa responsabilité[3]. En effet, nombreux ont considéré que cette nouvelle activité allait aggraver « l’engrenage fatal du devoir de conseil et dans la spirale d’une responsabilité dont ils pourront très difficilement s’exonérer »[4].

Pourtant, la Cour intervient ici plutôt dans le cadre de l’activité classique de conseil de l’avocat en dehors de toute rédaction d’acte, activité prêtant encore à contentieux en raison notamment de l’absence de définition légale mais aussi et surtout en raison de la complexité et diversité des missions accomplies par l’avocat.

Alors que la responsabilité de l’avocat a été recherchée pour manquement à son devoir de conseil, de loyauté et de diligence. Sans innover, la Cour de cassation, a tenu tout d’abord, à distinguer le contenu du devoir de conseil en fonction du mandat de l’avocat, et plus particulièrement face à l’équilibre contractuel (I), puis, à rappeler les principes de loyauté et de bonne foi qui gouvernent les contrats et auxquels sont tenus les clients (II) et enfin, à recadrer la notion de conflit intérêts dans le cadre de la déontologie de l’avocat (III).

 

I. Un devoir de conseil non absolu face à l’équilibre contractuel

 

Afin de mieux comprendre la solution de la Cour de cassation relative à la teneur du devoir de conseil face à l’équilibre contractuel, il nous reviendra dans un premier temps, de resituer de manière générale, la responsabilité de l’avocat du fait de ses diverses obligations (A), ensuite d’examiner en particulier la teneur de son obligation de conseil (B), enfin il conviendra de mettre en évidence, ce que la Cour a estimé constituer une limite à cette obligation de conseil, en l’occurrence en présence d’un équilibre contractuel (C).

 

A.    La responsabilité de l’avocat

 

L’avocat, en tant que professionnel est tenu à des obligations et donc risque d’engager sa responsabilité professionnelle en raison d’une inexécution ou mauvaise exécution de ses obligations.[5]

D’ailleurs, cet accroissement contemporain des obligations professionnelles résulte de ce que les situations régies par les contrats sont aujourd’hui beaucoup plus complexes et plus variées qu’auparavant. Cela engendre une grande variété de contrats spéciaux, en l’occurrence le mandat[6]. À cet égard, il nous revient de rappeler que l’activité de l’avocat s’est très diversifiée, même si elle se classe en deux grandes catégories, le juridique et le judiciaire, il s’agit essentiellement des missions de représentation, assistance, consultations, conseils et rédaction d’actes.

Pour ces raisons, il est considéré que manque à son devoir de diligence, l’avocat n’effectuant pas les formalités lui incombant à raison de son mandat, aucun reproche ne pouvant être efficacement adressé au client, par cet avocat de ne pas s’être inquiété et donc de ne pas avoir réagi[7].

 

En effet, ce devoir de diligence constitue avec de nombreuses autres obligations, le socle des obligations professionnelles auquel est tenu l’avocat envers le client, en vertu de l’article 1-3 du Règlement Intérieur National (RIN). Dans son obligation de compétence, mais aussi dans toutes ses autres obligations, nous y retrouvons une obligation de conseil. Tel cela se retrouve illustré dans la jurisprudence.

 

L’absence d’une définition légale du devoir de conseil permet aux tribunaux d’accroître non seulement le contenu, ainsi que la portée de ce devoir, et c’est que tente de faire une nouvelle fois, la Cour de cassation par cet arrêt.

 

B.     La teneur de l’obligation de conseil

 

Face au silence de la loi et à l’important travail de la jurisprudence, il est arrivé à ce que la doctrine donne une certaine définition, du devoir de conseil. Ainsi pour Henri Ader et André Damien, il s’agit d’un avis verbal ou écrit, donnés à un client à l’occasion d’un acte ou action juridique ou judiciaire en vue d’éviter un conflit ou une difficulté à l’occasion d’un procès en cours ou imminent[8].

 

L’obligation de conseil, s’étend à toutes les activités entrant dans la mission de l’avocat, il s’agit alors de savoir si cette obligation revêt un caractère relatif ou absolu. Après avoir, dans un premier temps, plutôt opté pour le caractère relatif de l’obligation de conseil[9], la première chambre civile lui reconnaît désormais un caractère absolu pour le notaire. En effet, pour ce qui est du notaire, le conseil n’est pas dû en raison de la nature de l’acte (authentique ou sous seing privé), mais de la qualité de celui qui le doit. C’est en raison de la fonction d’officier public du notaire, et de sa mission de dispensateur de sécurité juridique, que le devoir de conseil est dû et ne peut en être en principe pas déchargé. Ainsi, le notaire doit, conseiller même si le contrat est déjà parfait entre les parties et que rien ne lui est demandé[10].

Pour ce qui est de l’avocat, cela est plus complexe en raison de la diversité de ses missions. La Cour y a répondu par étape, mais elle a également fréquemment rappelé que l’obligation de conseil de l’avocat était limitée au mandat[11].

Par conséquent, le devoir de conseil de l’avocat, contrairement à celui du notaire, est un devoir éminemment factuel et donc variable dans son étendue. Son appréciation dépend, dans chaque cas, des circonstances particulières de l’affaire[12].

 

Il revient en l’espèce à la Cour de cassation de se prononcer sur la question de savoir si l’obligation de conseil de l’avocat est absolue, c’est-à-dire si elle est due quels que soient les circonstances et les missions de l’avocat.

Ici la Cour tient à rappeler que contrairement à ce qu’elle a pu affirmer pour le notaire, le devoir de conseil de l’avocat n’est pas absolu, car il ne lui incombe pas quelle que soit la nature de son intervention professionnelle. C’est pour cette raison que la Cour a tenu à rappeler que l’avocat n’était pas ici rédacteur de l’acte.

 

Alors que Monsieur X invoquait comme premier moyen afin d’engager la responsabilité de son avocat, « que l’avocat qui assiste son client lors de la signature d’un protocole d’accord de cession de parts et d’actions rédigé par un tiers, doit appeler son attention sur les conséquences juridiques et fiscales s’y attachant et particulièrement sur les effets attachés à la mise en jeu éventuelle d’une clause de garantie de passif » et que «  le devoir de conseil et d’information d’un avocat qui assiste son client lors de la signature d’un contrat rédigé par un tiers s’accompagne nécessairement d’un devoir de déconseiller » ; la Cour de cassation, a rappelé que l’activité de Maître Y ne consistait pas en la rédaction de la clause de garantie d’actif et de passif.

À cet égard, cette importante précision a été faite au motif que le contenu du devoir de conseil change en fonction du mandat de l’avocat, en l’occurrence dès lors qu’il est en charge de la rédaction, il a devoir plus accru. En effet, il est alors tenu d’un devoir de validité et d’efficacité de l’acte[13]. Il correspond dans ce domaine, au même devoir de conseil que la jurisprudence met à la charge du notaire. Il apparaît que l’aléa est fort réduit dans la mission de rédaction de l’acte, en comparaison de la mission de représentation et d’assistance, ce qui justifie des exigences plus importantes dans le respect du devoir de conseil.

 

Alors que la jurisprudence[14] et l’article 9 du décret du 12 juillet 2005 (n° 2005-790) renforcent le devoir de conseil du rédacteur d’actes, tenu responsable civilement mais aussi disciplinairement des conséquences des actes accomplis, en l’espèce, les missions de l’avocat semblent être différentes.

En effet, l’avocat Maître Y, n’avait pas à rédiger l’acte mais devait être présent lors de la signature de ce dernier. Comme il n’avait pas une mission de rédacteur, il n’avait pas de vérifications à effectuer. Il n’avait qu’une mission d’assistance lors de la signature du protocole d’accord.

 

Par conséquent, il s’agit ici plutôt d’une assistance dans le cadre d’une activité juridique, ce qui est qualifié plus fréquemment de conseil. Une telle réaffirmation de la part de la Cour de cassation renforce la protection des avocats, dont le mandat a souvent pour objet l’unique assistance. Or il est également affirmé dans cet arrêt, que ce devoir de conseil de l’avocat non rédacteur, peut se trouver limité du fait du respect de l’équilibre contractuel.

 

C.    L’obligation de conseil limitée par l’équilibre contractuel

 

La haute juridiction, dans cet arrêt, a affirmé que le rôle de l’avocat est d’autant amoindri, qu’un équilibre contractuel existe.

 

Le concept « d’équilibre contractuel » représente l’idée selon laquelle, le contenu juridique et économique du contrat se trouve dans un état de repos et/ou d’harmonie et le reste malgré l’influence de forces extérieures sur ce contenu[15]. Cela concerne le contenu du contrat et non le lien entre les parties, il est gage de qualité du contrat. D’ailleurs, une grande partie de la doctrine l’a rapproché de l’intérêt général, ce qui expliquerait par conséquent cette sacralité conférée par la Cour de cassation à l’équilibre contractuel[16].

 

Qui dit contractuel ne dit pas forcement juste, d’où l’importance de l’équilibre contractuel et de son respect quand il existe, or la Cour de cassation semble adhérer totalement à cette idée de justice et d’équilibre dans les relations contractuelles.

 

En l’espèce, la Cour de cassation a insisté sur le fait que Maître Y n’est intervenu aux côtés de Monsieur X qu’au moment de la signature de l’acte, il n’a nullement participé à la rédaction de la clause de garantie de passif. Par ailleurs, ce dernier n’a participé à aucun audit et n’a reçu ni communication d’aucun document ni disposé d’aucune information de nature à mettre en doute la déclaration des autres frères. C’est pour cette raison que la Cour de cassation a affirmé « Que la clause de garantie d’actif et de passif tendait à assurer l’équilibre contractuel et le succès de l’opération en garantissant le cessionnaire de la consistance des éléments du fonds de commerce de la société cédée ».

Or, en tant que clause de garantie d’actif et de passif, ayant vocation à assurer l’équilibre contractuel, en l’occurrence, le succès de l’opération, selon la Cour de de cassation, l’avocat n’avait pas à intervenir. Par voie de conséquence, du fait de cette non-intervention ayant pour objet le respect de l’équilibre contractuel, l’avocat ne risque pas d’engager sa responsabilité.

 

Cet équilibre contractuel mais également l’absence d’information de nature à l’alerter sur une éventuelle mise en œuvre de la clause de garantie litigieuse et sur le risque d’insolvabilité de Messieurs Etienne-Bernard et Jean-Paul X, ont contribué à définir les contours de l’obligation de conseil de Maître Y, notamment à la relativiser.

 

En l’absence de toute information de nature à l’alerter sur la fausseté de la déclaration relative à la conformité des décharges, Maître Y n’avait aucune raison de remettre en cause l’équilibre auquel étaient parvenus les négociateurs concernant le quantum de la garantie d’actif et de passif ; rien dans cette clause de solidarité ne justifiait que Maître Y conseille à Monsieur X – au risque de faire échouer la conclusion de la cession – d’exiger sa suppression ou la renégociation de ses termes. Il risquerait tout au contraire de conduire à engager sa responsabilité.

 

La Cour de cassation a précisé que l’avocat est tenu envers son client d’une obligation particulière d’information et de conseil, laquelle doit s’entendre pour l’activité d’assistance dont avait ici la charge l’avocat, comme étant une obligation de moyen. Or, cette obligation de moyen est une obligation renforcée au regard de la preuve de l’information.

Par conséquent, il a été implicitement conclu par la Cour que l’avocat n’avait pas à apporter la preuve qu’il a rempli cette obligation de conseil, car comme elle l’avait précisé dans une précédente affaire, seul « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».[17]

 

Selon l’arrêt commenté, le devoir de conseil est d’ailleurs très étroitement lié au devoir de loyauté pesant sur les relations contractuelles.

 

 

II. Un devoir de loyauté de l’avocat subsidiaire au devoir de loyauté du client dans les relations contractuelles

 

La Cour de cassation semble ici limiter le devoir de loyauté de l’avocat, et cela afin de lui reconnaître un caractère subsidiaire à celui du client dans ses relations contractuelles.

Toutefois, cette limitation n’est pas automatique, la Cour a porté son examen sur le critère de réunion des conditions exigées. Ainsi, il nous revient de faire un bref éclairage de ce que la Cour entend par le devoir de loyauté du client au sens général (A), puis d’examiner les conditions que la Cour semble ici apprécier pour rejeter la responsabilité de l’avocat du fait du non-respect de son devoir de loyauté, d’une part, en présence d’une information erronée, ou d’absence d’information (B), et d’autre part, en présence d’un acte préparatoire (C). Conditions qui ne sont pas nécessairement cumulatives, mais qui ici du fait de leur coexistence, facilite le travail pour la Cour de cassation dans l’appréciation de la responsabilité de l’avocat.

 

A.    Le devoir de loyauté du client

 

L’exécution de bonne foi des conventions est un principe issu de l’article 1134 du Code civil, et le devoir de loyauté est associé à cette exigence de bonne foi.

 

D’ailleurs, la jurisprudence a tenu à protéger l’avocat du fait des risques de manque de loyauté du client dans ses relations contractuelles. Ainsi, il est affirmé de manière constante que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir rappelé à une autre partie des obligations relevant de l’obligation de bonne foi qui s’impose en matière contractuelle ou les conséquences de leur transgression[18].

 

Il en est ainsi, dès lors que le client a commis un dol, le professionnel du droit est alors déchargé de son obligation de conseil[19].

Toutefois, même en présence de dol de la part du client, les juges du fond en raison de leur pouvoir souverain d’appréciation, peuvent condamner le professionnel du droit au partage partiel de responsabilité[20]. C’est en effet, en vertu de ce large pouvoir d’appréciation, que la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, s’est arrêtée sur les deux conditions précitées.

 

De manière générale, il est impossible pour le client d’imputer à l’avocat sa propre turpitude.

 

En effet, l’avocat ne serait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client lorsqu’il n’est pas établi qu’il a eu connaissance d’éléments de nature à le faire douter de ces informations, il n’est pas plus tenu d’attirer l’attention de son client sur les conséquences d’une fausse déclaration car l’obligation de loyauté et de sincérité qui s’impose en matière contractuelle est exigée du contractant même assisté par un avocat : nul ne peut avoir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé, à une partie à un contrat, fut-elle sa cliente, ce principe de bonne foi élémentaire ou les conséquences de sa transgression[21].

 

Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation maintient cette exigence de bonne foi et de loyauté de la part du client. Cette exigence de loyauté, constitue pour la Cour, une condition substantielle qui conditionne les exigences de loyauté de l’avocat à celle du client dans ses relations contractuelles au sens large. L’information insuffisante à l’instar de l’information erronée illustre la violation du devoir de loyauté de la part du client.

 

 

B.     Une information erronée ou insuffisante et ses conséquences sur la responsabilité de l’avocat

 

L’absence de responsabilité peut être totale lorsque la victime se voit opposer une faute intentionnelle. Un client a été débouté de son action en responsabilité contre son avocat, rédacteur d’un acte de cession de fonds de commerce, de ne pas avoir vérifié les indications mensongères sur le montant du chiffre d’affaires. La Cour de cassation affirme que « nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé à une autre partie ce principe de bonne foi élémentaire ou les conséquences de sa transgression »[22].

En d’autres termes, il est donc exigé de l’avocat une extrême diligence face à chaque indice de nature à éveiller ses soupçons sur l’existence d’un risque pouvant, par la suite, rendre inopérant le moyen selon lequel l’information lui était inaccessible car inconnue, erronée ou imprévisible. En l’absence d’indices, l’avocat n’a pas à avertir ses clients d’un risque dont il ne pouvait soupçonner l’existence, donc il ne peut être débiteur d’aucun devoir de conseil[23].

 

Dans le cas d’espèce il était avancé pour la défense de Maître Y, que l’avocat n’est pas tenu de se substituer à son client dans la décision de conclure ou de ne pas conclure ; que cette décision relève de l’entière liberté du client, surtout lorsque ce dernier est, comme en l’occurrence, un professionnel averti de la vie des affaires, concluant un contrat dont l’objet est sa propre société. Mais la Cour de cassation n’a pas voulu revenir sur ce point, pour mettre un terme sur la distinction faite entre le professionnel et le non professionnel. Cette exigence de loyauté semble absolue et cela quel que soit le statut et les connaissances du client.

 

En outre, la Cour de cassation semble ici intransigeante vis-à-vis de l’obligation de loyauté du client, au motif, qu’un tel comportement est dangereux et caractérise un manquement à ses engagements. En effet, l’avis de l’avocat aura été faussé du fait d’une présentation inexacte des faits par son client. Or, cela ne peut qu’avoir des conséquences soit sur l’acte rédigé, soit sur le résultat judiciaire.

 

La cour d’appel saisie au préalable de l’affaire, a souligné que l’avocat, n’engage pas sa responsabilité dès lors qu’il n’a pas mesuré toutes les conséquences des fausses déclarations de son client. Le devoir de conseil auquel il est tenu ne lui imposant pas de vérifier toutes les informations fournies par le client s’il n’est pas établi qu’il disposait d’éléments de nature à les mettre en doute, ni d’attirer son attention sur les conséquences d’une fausse déclaration, l’obligation de loyauté et de sincérité constituant aussi un devoir du client[24].

 

Il semble que pour la Cour de cassation, comme pour la cour d’appel, ce n’est pas la nature de l’acte accompli qui compte, puisque même en tant que rédacteur d’acte, c’est la mauvaise foi du client qui est sanctionnée et qui ne peut être reprochée à l’avocat.

 

Par ailleurs, il ne s’agit pas pour la Cour de cassation de savoir si l’avocat a commis une erreur de droit, donc peu important qu’elle soit qualifiée ou non de grossière pour engager sa responsabilité, et c’est pour cette raison, que la Cour n’en fait pas état.

 

La responsabilité de l’avocat est ici écartée du fait que le client ne lui a pas révélé la teneur de son projet, et par conséquent, celui-ci se retrouve dans l’impossibilité de remplir son devoir de conseil faute d’être informé sur le résultat que ses clients poursuivaient.

La Cour maintient donc son raisonnement habituel, et il n’y a rien de surprenant à ce qu’elle ait rejeté le pourvoi. Mais ce qui semble innovant, c’est que dans l’examen de cette obligation de loyauté, elle semble accorder une place importante à la nature de l’acte, pour lequel l’avocat devait apporter son assistance.

 

C.    L’acte préparatoire et ses conséquences sur la responsabilité de l’avocat

 

La jurisprudence, a fréquemment amoindri la responsabilité d’un auxiliaire de justice lorsqu’il se retrouve face à un acte préparatoire.

Il en a été ainsi, pour ce qui est du compromis de vente d’une maison, le notaire n’a pas été jugé responsable de son manquement d’information concernant la nature communale d’un chemin desservant la maison. Une telle décision est liée au fait qu’il s’agit d’un compromis de vente, donc en tant qu’acte préparatoire, cela a pour objet de se ménager le temps de procéder aux vérifications nécessaires à la préparation de l’acte définitif.[25]

En outre, cette souplesse est accordée en raison des exigences de rapidité de ces actes préparatoires.

 

Or, dans l’arrêt commenté, nous sommes en présence d’une situation où l’avocat a eu une information erronée et donc inconnue, mais aussi dans le cadre d’un compromis de vente.

 

En raison de ce cumul de circonstances, dans notre cas d’espèce, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel a relevé, à bon droit, que l’avocat n’était pas tenu d’attirer l’attention de son client sur les conséquences d’une fausse déclaration dès lors que l’obligation de loyauté et de sincérité s’impose en matière contractuelle et que nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé à une partie ce principe de bonne foi élémentaire ou les conséquences de sa transgression.

 

Ceci est d’autant plus renforcé qu’en l’absence de toute information de nature à l’alerter sur la fausseté de la déclaration relative à la conformité des décharges, Maître Y n’avait aucune raison de remettre en cause l’équilibre contractuel auquel étaient parvenues les parties concernant le quantum de la garantie d’actif et de passif, dans le cadre d’un compromis de vente.

 

Ce type de raisonnement traduit non seulement, la différence de contenu attribuée au devoir de conseil en fonction de la nature de la mission de l’avocat, mais également le respect des conditions contractuelles et tout particulièrement de la loyauté et de l’équilibre contractuel.

Après avoir précisé le contenu du devoir d’information d’un avocat non-rédacteur d’acte, dans une situation d’équilibre contractuel et de violation du devoir de loyauté dans les relations contractuelles, la Cour de cassation a recadré la notion de conflit d’intérêts, notion qui fait partie des principes essentiels qui gouvernent la déontologie de l’avocat.

 

 

III. Un conflit d’intérêt encadré

 

La notion de conflit d’intérêt, constitue un des principes essentiels qui régissent la profession d’avocat, en raison de sa complexité et de sa particularité, la cadre général semble important d’être rappelé au préalable (A), pour mieux comprendre le travail de recadrage effectué par la Cour de cassation dans le présent arrêt commenté (B).

 

A.    Le cadre déontologique de la notion de conflit d’intérêt

 

L’article 4 du RIN dispose que l’avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit. Par ailleurs, il ne peut accepter l’affaire d’un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d’être violé ou lorsque la connaissance par l’avocat des affaires de l’ancien client favoriserait le nouveau client. Lorsque des avocats sont membres d’un groupement d’exercice, les dispositions des alinéas qui précèdent sont applicables à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres.

 

En outre, le RIN définit la notion de conflit d’intérêts. Dans la fonction de conseil, il s’agit de la situation où, au jour de sa saisine, l’avocat qui a l’obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l’analyse de la situation présentée, soit par l’utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d’une ou plusieurs parties. Il existe un risque sérieux de conflits d’intérêts, lorsqu’une modification ou une évolution prévisible de la situation qui lui a été initialement soumise fait craindre à l’avocat une des difficultés visées ci-dessus.

 

B.     Un encadrement jurisprudentiel du conflit d’intérêt

 

En l’espèce, la Cour de cassation recadre cette notion, au motif que l’avocat ne saurait soutenir des intérêts contraires à ceux qu’il défend par ailleurs. Pour écarter ce manquement, il a été précisé qu’au jour de la saisine par Monsieur Jacques X, ni Maître Y ni ses associés n’avaient déjà été en charge des intérêts de la société CGEA, assistée, lors de l’acquisition des titres de la société X, par d’autres conseils. La Cour a en outre, souligné que si Maître Y avait ultérieurement été appelé à pourvoir aux intérêts des filiales du groupe Vivendi, auquel appartenait la CGEA, il n’est pas établi que cette circonstance ait altéré, pendant toute la procédure d’expertise et la phase contentieuse, la loyauté de l’avocat à l’égard de son client.

 

En procédant ainsi, la Cour recadre non seulement la notion de conflit d’intérêts mais également celle d’intérêts opposés. Ainsi, il n’est pas interdit à l’avocat d’avoir dans la clientèle de son cabinet, des filiales appartenant au même groupe que la société en conflit avec un de ses clients, dès lors que la loyauté de l’avocat a été préservée durant toute la procédure. Dans le cas dans le cas d’espèce aucune preuve contraire n’a été apportée.

 

Enfin, la Cour de cassation a rappelé que la cour d’appel détient une appréciation souveraine de l’existence ou pas de conflits d’intérêts, notamment en considérant que l’avocat n’a pas été saisi, à la même époque et dans la même affaire, par des clients ayant des intérêts opposés, définition qui semble quelque peu s’éloigner de cette du RIN, notamment pour ce qui est de la protection du risque de conflit d’intérêt.

 

La haute Cour tout en reprenant le raisonnement de la cour d’appel à son compte, semble abandonner la question du conflit d’intérêt aux juges du fond.

 

 

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Nous pouvons conclure du commentaire de cet arrêt que, le devoir de conseil de l’avocat se détache de plus en plus d’un fondement contractuel. D’ailleurs, la jurisprudence concerne tout autant celui qui est légalement tenu que celui qui est contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information. Cela confirme le phénomène de distanciation prise avec la conception exclusivement contractuelle de ce devoir. Il a été ainsi affirmé que l’on s’orienterait vers une « responsabilité professionnelle spécifique, responsabilité dont on sait qu’elle a un peu de mal à se mouler dans la division bipartite de la responsabilité civile »[26].

 

Cet arrêt de manière globale, a contribué à confirmer le mouvement tendant à attribuer au devoir de conseil, un statut relatif, en l’occurrence dès lors qu’il ne s’agit pas d’un rédacteur d’actes. Par ailleurs, la Cour a affirmé que ce devoir de conseil est subsidiaire par rapport aux obligations qui gouvernent les relations contractuelles des parties, et cela non seulement en raison de l’autonomie de la volonté mais aussi de l’équilibre contractuel, deux principes que la Cour de cassation ne semble pas ici opposer… au contraire, ces derniers ont été conciliés notamment afin de donner un cadre à l’obligation de conseil de l’avocat – La haute juridiction a entrepris une appréciation concrète des missions de l’avocat, afin de le distinguer des autres auxiliaires de justice, notamment du notaire, pour ce qui est de sa responsabilité – Nous pouvons nous demander si la jurisprudence, va suivre le même mouvement que celui qu’elle a prise pour les notaires, et faire perdre un peu de ce statut protecteur à l’avocat, au nom de l’équité, de l’harmonisation liée à la volonté de création d’une « grande profession » du droit, voire du fait de son devoir de compétence… Un devoir de conseil non extensible à l’infini… Seul l’avenir nous le dira !… D’où l’importance des principes de prudence et de conscience.

Par AZOUGACH Khadija

Avocat-docteur en droit

Article publié sur le site du Village de la Justice

http://www.village-justice.com/articles/devoir-conseil-devoir-absolu-equilibre,13651.html

 


[1] P. Cassuto-Teytaud, La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile, rapport 2002.

[2] La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, dite de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a ajouté à la loi du 31 décembre 1971, trois articles relatifs au contreseing de l’avocat.

[3] Cf. G. Pillet « Le contreseing de l’avocat et la responsabilité civile professionnelle du rédacteur d’acte », AJ famille, juin 2011, 300.

[4] J. de Poulpiquet, « La responsabilité du rédacteur d’acte sous signature juridique. Ébauche d’une étude prospective », JCP N 2010. 1223, n° 2.

[5] V. sur la notion de professionnel, D. Lochouarn, La profession, approche juridique de la notion, thèse de doctorat en droit privé, Lyon III, 1998.

Ph. le Tourneau, Responsabilité civile professionnelle, Dalloz Référence, 2e éd. 2005. no 0.12.

[6] A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 6e éd., Montchrestien, 2004, no 622.

[7] CA Paris, 15 févr. 2011, n° 09/28676.

[8] Henri Ader et André Damien, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action 2011-2012, p. 406.

[9] Cass. civ. 1ère, 2 juill. 1991, n° 90-12065 : Bull n°228.

[10] Cass. 1ère civ., 9 déc. 1974, n° 73-13112 : Bull. civ. I, no 334, Journ. not. et av. 1976, art. 52991, no 1, note J. de Poulpiquet Cass. 3ème civ., 3 avr. 2007, no 06-13304 : Bull. civ. III, no 1.

[11] Cass. 1ère civ., 17 mars 2011, n° 10-11463.

[12] Cf. J. de Poulpiquet, Répertoire de droit immobilier Notaire, janvier 2009, dernière mise à jour : mars 2012.

[13] Cass. 1ère civ., 14 oct. 2010, n° 09-13840 : Bull. civ. I, n° 196, Dalloz actualité, 25 oct. 2010, obs. de Ravel d’Esclapon ; JCP 2011, n° 468, obs. Pillet ; Rev. Sociétés 2011, 223, note Porrachia ; RLDC 2011/78, n° 4088, obs. Le Nestour Drelon.

[14] Cass. 1ère civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142 : Bull. n° 267; RTD Civ. 2009, p. 134 ; D. 2009. 706, note Ch. Jamin.

[15] L. Fin-Langer, L’équilibre contractuel, LGDJ 2002, p. 31.

[16] Voir D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in, L’avenir du droit. Mélanges en l’honneur de François Terré, p. 603 et S.

[17] Cass. 1ère civ., 25 févr. 1997, n° 94-44788 : Bull. civ. I, n° 75 ;JCP 1997, II, 22948 Cass. 1ère civ., n° 94-21217 : Bull. civ. I, n° 132.

 

[18] Cass. 1ère civ., 28 mars 2000, n° 97-18737 : bull I, n° 101, D. 2000, 574, note Beignier  Cass. 3ème civ., 12 mars 2008, n° 07-13651 : Bull III, n° 43.

[19] Cass. 1èreciv., 17 déc. 1996, n° 94-19478 : Bull. n° 453.

[20] Cass. 1ère civ., 18 juin 2002, n° 99-17122 : Bull. n° 168.

[21] Cass. 1ère civ., 30 oct. 2007, n° 05-16789; RTD civ. 2008. 676, obs. B. Fages.

[22] Cass. 1ère civ., 30 oct. 2007, op.cit.

[23] Cf. TGI Paris, 1ère ch., 1ère sect., 2 mai 2002, n° 00/05162 : Defrénois mars 2003, n° 37682, obs. P. Malaurie.

[24] CA Paris, 1er févr. 2011, n° 2009/21974.

[25] Cf. Cass. 1ère civ., 6 nov. 2001, n° 98-14508 : Bull. 2001, n° 267.

 

[26] Cass. 1ère civ., 27 nov. 2008, n° 07-18142: Bull. n° 267; D. 2009. Jur. 706, note C. Jamin.